Cérémonie à l’ occasion de la Journée nationale d’hommage en mémoire des victimes du terrorisme au Lycée français de Caracas (11.03.2020)

Discours de M. L’Ambassadeur à l’occasion de la Cérémonie de la Journée nationale d’hommage en mémoire des victimes du terrorisme au Lycée français de Caracas (11.03.2020)

Mesdames et Messieurs les élus de la communauté française,

Chers membres de la direction du Colegio Francia,

Chers professeurs et élèves,

Chers amis vénézuéliens et français,

C’est une immense douleur et une profonde tristesse qui nous réunissent aujourd’hui.

Comment, devant cette plaque en hommage à Sven Alejandro SILVA PERUGINI, ne pas partager la peine de sa famille, de ses proches, de ses amis, avec tous ceux qui ne l’oublieront jamais et qui pensent à lui tous les jours.

Sven Silva avait 29 ans. Il est le seul vénézuélien mort dans les attaques terroristes de Paris du 13 novembre 2015. Mais ils étaient plusieurs citoyens vénézuéliens présents sur les lieux des attaques ce soir-là. Un ami de Sven, Felix Salazar, qui était avec lui sera blessé au Bataclan et un autre, Juan Pablo Azares Gonzalez, était dans le restaurant Le Petit Cambodge, il n’a pas été blessé mais il a été témoin direct de l’attaque.

Ce soir-là, le terrorisme le plus abject et le plus lâche n’a pas seulement supprimé des vies, il a brisé des familles, il a déchiré les liens les plus tendres, les sentiments les plus forts qui lient les êtres qui s’aiment profondément. Le terrorisme n’a pas choisi ses victimes au hasard, des jeunes aimant la musique, la fête, la vie ensemble, il a voulu détruire le bonheur, casser une vision du monde fondée sur la tolérance, il a voulu défigurer la joie de vivre, il a voulu anéantir avec une détermination sadique des vies heureuses. Nos vies. Car à travers toutes les victimes du terrorisme, c’est nous qui sommes atteints, c’est nous qui sommes visés, quel que soit le pays ou le continent.

Qu’il me soit permis d’exprimer la tristesse de tous les Français devant la douleur de la famille de Sven Alejandro Silva Perugini à laquelle je veux rendre hommage en particulier à sa maman Giovanina et à son Papa Asdrubal.

Le 13 novembre 2015, j’étais à Paris et mon appartement se trouvait à proximité du Bataclan. Je me souviens d’une foule immense rassemblée, des rues entières envahies par des bougies et des dessins, des larmes dans les yeux des passants, d’un piano installé dans la rue en face du Bataclan où des musiciens amateurs jouaient sans arrêt pour célébrer la vie et arrêter la mort, je me souviens de ces milliers de regards qui transperçaient les cœurs. Je me souviens de la détermination de cette foule immense pacifique et déterminée à ne pas céder à la haine. « Non vous n’aurez pas notre haine ! » ce fut le titre d’un ouvrage écrit par le mari d’une des victimes du Bataclan, livre bouleversant traduit et lu dans le monde entier. Nous nous tenions par la main, nous nous prenions dans les bras. Certains priaient, d’autres chantaient La Marseillaise. Ces images sont à jamais gravées dans ma mémoire.

Je remercie tous les Vénézuéliens qui se sont manifestés, en 2015, pour soutenir les victimes des attentats de Paris. Nous avons été sensibles à leurs attentions permanentes et profondément sincères dans ces circonstances tragiques pour la France et pour les familles de toutes nationalités. Ces messages, ces attentions, ces gestes reçus du Venezuela sont ceux de la fraternité et de l’amitié, dont la relation franco-vénézuélienne témoigne chaque jour et plus que jamais dans les épreuves. Nous pouvons le mesurer chaque jour ici au Colegio Francia. C’est pourquoi nous avons choisi d’organiser cette cérémonie ici dans ce temple de la fraternité franco-vénézuélienne.

Sven Silva était informaticien et a été au cours de son enfance et son adolescence scout à San Antonio de Los Altos.Il a passé son enfance et sa jeunesse dans les Hauts Mirandinos. Il appartenait au groupe scout Cayaumira.

Diplômé de l’Instituto universitario de tecnologia de Caracas en 2007, il avait trouvé son premier emploi dans la foulée. Mais l’envie de voir du pays et de chercher d’autres opportunités l’avait conduit, avec sa jeune sœur Asvany, à s’installer pour quelque temps en Irlande, en janvier 2014. En novembre 2014, Sven était tombé sur le job parfait : un poste dans la société d’ingénierie informatique Concatel, à LLeida, en Catalogne.

Sven avait fait sensation lors de la fête d’entreprise de fin d’année. Enfin, on tenait un collègue capable de bien danser la salsa ! Mais le cliché sud-américain s’arrête là : dans son iPod, l’ambiance était éclectique. « Toutes les musiques l’intéressaient, explique sa sœur, Asvany. Le reggeaton, l’électro, le rock… »

Pour ses amis, Sven était « El Negro ». Un surnom auquel il était très attaché et qui remontait à ses années de scouts. « C’est sans doute là qu’il a attrapé le goût de découvrir, de se balader, d’explorer, raconte sa maman Giovanina. Avec les scouts, il est allé dans les Andes, dans la Gran Sabana, il a parcouru tout le pays. » L’appartement de ses parents conserve le souvenir des voyages du fils, car Sven aimait peindre des paysages. « Tous les tableaux à la maison sont de lui : il y a les plages de Choroni, le Salto Angel… »

Le vendredi 13 novembre 2015, Sven était à Paris, une ville de liberté, de tolérance et de culture, pour retrouver deux copains de l’Institut universitaire de technologie de Caracas, Alfredo Reyes et Felix Salazar. Ensemble, ils sont allés écouter du rock au Bataclan, une petite salle de concert populaire et mythique de la capitale française qui accueille ce soir-là le groupe américain Eagles of Death Metal pour passer un bon moment de partage et de fraternité. Ses deux amis ont survécu. Mais Felix Salazar a été blessé.

Après les attentats, c’est la maman de Sven Alejandro, Giovanina, qui a confirmé sa mort. Elle a posté un message sur Facebook pour remercier ceux qui l’accompagnaient dans les prières et les condoléances après la disparation de son fils. Elle a écrit : « A Notre bien-aimée lumière Sven Alejandro Silva Perugini, qui n’est plus physiquement parmi les êtres que nous aimons. Vous vous souvenez de son sourire, ses blagues, son optimisme, son charisme. »

L’annonce de la mort de Sven Alejandro a immédiatement suscité une vague de messages d’amis, de la famille mais aussi d’inconnus sur les réseaux sociaux. Sur le mur de la page Facebook de Sven, ses amis se souviennent de lui pendant les vacances, des parties de dominos et d’autres beaux moments partagés.

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Pour la France, et pour le monde, l’année 2015 restera celle des attentats contre Charlie Hebdo et le magasin Hypercacher en janvier 2015 et celle de cette nuit tragique du 13 novembre 2015 où la haine a à nouveau frappé des innocents. Le bilan officiel des victimes du 13 novembre 2015 fait état de 130 morts et de 413 blessés hospitalisés, dont 99 en situation d’urgence absolue.

Un rescapé du Bataclan s’est suicidé dans la nuit du 18 au 19 novembre 2017, après avoir refusé l’aide des associations de victimes et des psychologues. Il ne pouvait plus supporter de vivre avec ce souvenir qui le hantait.

Outre une majorité de Français décédée lors de ses attentats, de nombreuses personnes d’autres nationalités figurent parmi les victimes : 2 Algériens, 2 Allemands, 1 Anglais, 2 Belges, 2 Chiliens, 1 Égyptien, 1 Espagnol, 1 Franco-Russe, 1 Italienne, 1 Marocain, 1 Mexico-Américaine, 1 Mexicain, 2 Portugais, 2 Roumains, 1 Suédoise, 2 Tunisiennes, et 1 Vénézuélien.

Le nombre de « blessés psychiques » n’est pas précisément déterminé, mais des centaines de personnes ont été prises en charge (survivants blessés physiques, survivants indemnes, familles, amis, témoins directs et indirects) dans toute la France et dans plusieurs pays dans le monde. Une commission d’enquête parlementaire française estime à 4 000 le nombre de victimes physiques et/ou psychologiques de ces attaques.

Ces attentats ont été les plus meurtriers perpétrés en France depuis la Seconde Guerre mondiale et les deuxièmes en Europe (hors attentats aériens), après les 191 morts des attentats de Madrid du 11 mars 2004.

Même si l’argent ne compensera jamais une telle tragédie, au nom de la justice, le gouvernement français a décidé d’aider et de soutenir toutes les victimes et leurs familles, quelle que soit leur nationalité. 2 625 victimes des attentats du 13 novembre ont fait l’objet d’une prise en charge financière. L’Etat français indemnise les personnes blessées, physiquement ou psychologiquement, et les ayants droit de personnes décédées lors d’attentats. Parmi elles, 1 302 offres d’indemnisation sont définitives et 856 règlements définitifs ont été acceptés.

Malgré la douleur et le chagrin, la vie doit continuer pour ne pas céder à ceux qui veulent anéantir notre civilisation et nos libertés. Le 12 novembre 2016, la salle du Bataclan a rouvert ses portes, un an après les attentats, avec un concert au profit des associations de victimes par le chanteur britannique Sting et ses musiciens, accompagnés du trompettiste français Ibrahim Maalouf.

Le 13 novembre 2016, six plaques commémoratives ont été dévoilées sur le lieu de chacune des attaques du 13 novembre 2015 car en plus du Bataclan d’autres lieux populaires ont été attaqués : le stade de France et des terrasses de restaurants et de cafés.

Chaque plaque à Paris arbore le texte suivant : « En mémoire des victimes blessées et assassinées des attentats du 13 novembre 2015. Aux vies fauchées en ces lieux. » suivies des noms des victimes, par ordre alphabétique. »

La cérémonie d’aujourd’hui a été décidée par le Président de la République française, Emmanuel Macron pour que le souvenir des victimes ne s’efface jamais. Pour que les familles et les proches de toutes nationalités sachent que nous sommes à leurs côtés. Cette cérémonie se déroule partout dans le monde autour des ambassades de France et des institutions liées à la France.

Cette cérémonie a aussi pour objet de montrer la force de la vie et de notre modèle de civilisation fondé sur la liberté et la fraternité. Les terroristes ne nous feront pas renoncer à nos libertés. Ils ne nous soumettront pas à leur vision totalitaire et haineuse du monde. Ils perdront et ils ont déjà perdu. Le bilan du terrorisme n’est fait que de malheur et d’échecs. Le terrorisme n’a jamais fait progresser la moindre cause pour la bonne et simple raison qu’il les discrédite moralement et les condamne politiquement. Aucune cause ne peut justifier une telle violence.

Le combat contre le terrorisme ne relève pas de la responsabilité d’un seul pays. Ce combat est un combat collectif. Un combat des États de droit contre des organisations criminelles. Depuis 2015, nous avons progressé dans la lutte contre le terrorisme et pour la justice. Les terroristes, savent désormais qu’ils n’ont aucun répit, nulle part, jamais. Où qu’ils se trouvent, où qu’ils se cachent, ils sont recherchés et doivent rendre compte de leurs crimes. Chacun doit le savoir, les démocraties ne laisseront aucun acte de terrorisme impuni.

La France n’oubliera rien et la France ne cessera jamais de réclamer justice. Malgré la lâcheté des auteurs des crimes du 13 novembre 2015 qui voulaient échapper au droit, la justice française fait son travail d’établissement des faits et de jugement des responsables en veillant au respect du droit à la justice de toutes les victimes de toutes les nationalités.

Face au terrorisme, il n’y a pas d’autre attitude : ne jamais céder, ne jamais se laisser intimider, ne jamais renoncer à poursuivre les responsables, au bout du monde s’il le faut, patiemment, résolument, méthodiquement.

Le 13 novembre 2015, le Venezuela et la France ont été en deuil. Ensemble, nous avons partagé le recueillement, la peine et la tristesse. La France n’a pas oublié Sven Alejandro Silva Perugini. La France n’oublie pas la douleur de ses parents et de sa famille.

Aujourd’hui, dans un monde guetté par l’incompréhension, alors que les fractures et les crises se multiplient, sachons garder vivant le souvenir de Sven Alejandro et de toutes les autres victimes d’attentats. Plus que jamais, leur souvenir doit guider notre action en faveur de la défense de nos libertés, de la paix et du dialogue entre les cultures. Plus que jamais, la France est un pays qui ne se perd pas dans la haine de l’autre, mais qui trouve en ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité sa raison d’être et de vivre en paix avec les autres Nations.

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Message du Président de la République, 11 mars 2020

Ce 11 mars 2020 est la première journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme.
Cette date, choisie par l’Union européenne en souvenir de l’attentat commis à Madrid à la gare d’Atocha, le 11 mars 2004, nous rassemble aujourd’hui dans une communauté de destins qui transcende les frontières.
La commémoration est d’abord ce que la Nation doit à tous ceux qui ont été balayés par la violence du terrorisme, à ceux se sont relevés meurtris, à ceux qui ne se relèveront pas.
Par-delà le deuil, elle marque aussi notre reconnaissance envers ces femmes et ces hommes qui ont sauvé, secouru, soigné, aidé, accompagné. Sauveteurs, forces de l’ordre, élus, ou passants anonymes, tous ceux qui, lorsque nous avons été frappés au cœur, ont formé d’un seul élan une grande chaîne fraternelle de solidarité.
Une chaîne soudée par l’État, qui a recueilli les orphelins et soutenu les conjoints endeuillés, pansé les blessures, celles du corps et celles de l’âme qui, pour être plus secrètes, plus souterraines, ne sont pas les moins aiguës. Pleurer les morts, et réparer les vivants.
Cette journée est la preuve que les terroristes ont échoué à anéantir la promesse républicaine. Ils voulaient détruire la valeur de la vie, ils n’ont réussi qu’à nous la rendre plus précieuse. Ils voulaient paralyser, ils nous ont galvanisés. Ils voulaient diviser, ils nous ont unis.
Chaque année, le 11 mars rassemblera toute la Nation, tous les Français dans un recueillement collectif où nous nous souviendrons et où nous affirmerons haut et clair notre unité et notre détermination à combattre les fureurs de tous les obscurantismes et de tous les fanatismes.
Aujourd’hui, au nom de la France, au nom de chacun d’entre vous, je présiderai la première cérémonie de cette journée nationale à Paris, sur le parvis des droits de l’Homme au Trocadéro. Et j’ai souhaité que partout où bat le cœur de la nation, aussi bien sur notre sol que dans les communautés françaises à l’étranger, tout citoyen puisse s’associer à la commémoration.
C’est pourquoi chaque préfecture, chaque ambassade, participe aujourd’hui à ce moment de communion, et que partout se rassemblent, non seulement les victimes et leur famille, mais ceux qui les ont secourues dans un esprit de dévouement et de solidarité exemplaire.
J’ai aussi voulu que l’hommage s’inscrive dans une perspective mémorielle d’envergure. Par la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, nous honorons les victimes. Par la création d’un mémorial du terrorisme en France, lieu unique au monde, nous opposerons aux forces mortifères de la barbarie, la lumière vitale de la mémoire et de la connaissance.
Leurs noms sont désormais gravés dans le bronze et dans la pierre. Ils sont plus profondément encore gravés en nous.
Abel. Elsa. Bernard. Linda. Laurence, Jonathan, Philippe, tant et tant d’autres prénoms, tant d’existences, de talents, d’espoirs, qui laissent au flanc de notre pays une plaie encore ouverte. Nous nous remémorerons vos visages, vos destins, prouvant que vos vies fauchées par la barbarie n’ont pas été annihilées : elles seront éternisées par nos mémoires, elles nous raffermiront dans notre amour de la liberté.

A ceux qui sèment la mort et la terreur, qui veulent détruire notre raison et notre façon de vivre, la France, l’Europe, répondront toujours avec la force universelle de leurs valeurs et la puissance sereine de l’Etat de droit. Elles se défendront pied à pied, à grand renforts de tolérance, en érigeant haut les digues de la liberté et de la justice.
En choisissant les mots d’Albert Camus, les associations de victimes ont compris l’essentiel de notre défi : face au danger d’un monde qui se défait et parfois se barricade, un monde où « nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort », il nous faut « restaurer entre les nations la paix, refaire avec tous les hommes une arche d’alliance ».
Que la première de ces arches soit ce pont que bâtissent aujourd’hui nos mains unies et nos mémoires rassemblées.

Dernière modification : 16/03/2020

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